Un amendement passé relativement inaperçu lors des débats parlementaires pourrait bien provoquer une petite révolution dans l’économie des baux commerciaux. Dans le cadre du projet de loi sur la simplification de la vie économique, les députés ont adopté une mesure qui ferait peser la taxe foncière exclusivement sur le bailleur, interdisant toute possibilité de refacturation au locataire.
Cette évolution, si elle est confirmée, notamment par la Commission mixte paritaire, viendrait rompre avec une pratique solidement ancrée dans les relations bailleur/preneur et modifierait l’équilibre économique des contrats de location de locaux commerciaux.
Une pratique bien établie remise en cause
En l’état actuel du droit, l’article L. 145-40-2 du Code de commerce laisse une grande liberté aux parties pour répartir les charges et impôts liés au local loué. Dans la pratique, la taxe foncière – parfois lourde, en particulier pour les surfaces importantes – est le plus souvent refacturée au preneur.
L’amendement introduit dans le projet de loi vise à introduire cette refacturation, en rendant la charge de la taxe foncière légalement et exclusivement supportée par le bailleur.
Il est à noter que cette situation est déjà celle des baux d’habitation, qui prohibent la refacturation des taxes foncières.
Objectifs affichés : alléger la charge des commerçants
Les députés à l’origine de la mesure poursuivent un objectif clair : soutenir la compétitivité des commerçants et artisans en allégeant leurs charges fixes, déjà alourdies par l’inflation et la hausse du coût de l’énergie. Pour les preneurs, la réforme représente donc un gain immédiat de trésorerie, susceptible d’améliorer la viabilité économique de certaines exploitations fragiles.
Des conséquences économiques significatives pour les bailleurs
Pour les bailleurs, en revanche, la mesure soulève plusieurs inquiétudes :
- Impact sur la rentabilité : l’impossibilité de refacturer la taxe foncière réduirait mécaniquement le rendement net des investisseurs en immobilier d’entreprise.
- Risque de déplafonnement du loyer : certains commentateurs estiment qu’on transfert de charge aussi substantiel pourrait constituer un motif de déplafonnement, ouvrant la voie à une renégociation du loyer à la hausse lors du renouvellement du bail.
- Répercussions indirectes à moyen terme : les propriétaires seront incités à ajuster les loyers faciaux à la hausse pour compenser la charge supplémentaire, ce qui atténuerait l’effet protecteur pour les commerçants.
- Effet inflationniste à long terme : par ailleurs, l’adoption de cette mesure créerait un biais inflationniste, en vertu de la nature des bases d’imposition. En effet, l’assiette d’imposition des locaux commerciaux est déjà indexée sur les loyers consolidés (via l’obligation déclarative DECLOYER et la mise à jour des grilles tarifaires).
L’adoption de cet amendement créerait un cercle vicieux : augmentation des loyers à cause de l’intégration des charges de fiscalité locale -> augmentation mécanique desdites charges, puisqu’elles sont indexées sur l’évolution des loyers -> nouvelle augmentation des loyers à moyen terme etc.
Quelle application pour les baux en cours ?
L’un des points les plus sensibles reste celui de l’applicabilité de la mesure aux baux commerciaux en cours d’exécution.
Si l’interdiction devait s’appliquer immédiatement, les bailleurs perdraient la possibilité de refacturer la taxe foncière même en présence d’une clause contractuelle expresse. Si elle ne s’appliquait qu’aux nouveaux baux, un régime transitoire devrait être précisé, avec un risque d’inégalité de traitement entre commerçants.
La rédaction finale de la loi et les éventuelles dispositions transitoires seront donc décisives pour évaluer l’impact réel de la réforme.
Un effet boomerang possible sur les finances locales
Enfin, certains observateurs redoutent un effet indirect sur les impôts locaux :
À long terme, l’alourdissement de la charge fiscale pour les bailleurs pourrait se traduire par des pressions à la baisse sur l’investissement immobilier, voire un désengagement de certains acteurs.
Les collectivités pourraient être incitées à augmenter la taxe foncière ou la CFE pour compenser un éventuel ralentissement de la construction ou de la rénovation des locaux commerciaux.
L’intention du législateur de soutenir les commerçants est claire, mais la mesure pourrait générer des effets pervers et une recomposition profonde de l’économie des baux commerciaux. Il faudra suivre attentivement les prochains échanges législatifs autour de ce sujet…